Numéro 95 - Semaine du 5 au 11 mars 2012

dimanche 11 mars 2012

Au sommaire, cette semaine, le traité ACTA, les suites de l’affaire MegaUpload, et les dernières actualités juridiques en matière de responsabilité des intermédiaires.

ACTA

L’Union européenne a publié, cette semaine, un schéma intéressant qui retrace les grands moments de l’élaboration du traité ACTA et qui représente la procédure de décision du Parlement européen. On y voit notamment le début des discussions en 2006 ; l’accord de Tokyo le 26 janvier 2012 auquel certains États européens, notamment l’Allemagne, ne sont pas parties ; et l’envoi au Parlement le 2 février dernier. Devant le Parlement, le traité ACTA est présenté par 5 rapporteurs pour les aspects juridiques, industriels et énergétiques, judiciaires, sociaux et commerciaux. Le Parlement doit ensuite voter en session plénière, et le traité doit être ratifié par tous les États membres. La procédure suit son cours, mais il devient de moins en moins probable qu’elle aboutisse à l’entrée en vigueur du traité.

MegaUpload (suites)

Forts de la fermeture de MegaUpload, les ayants droit américains s’en prennent maintenant à Hotfile. On peut ainsi lire, dans la plaine de la MPAA que «plus de 90 % des fichiers téléchargés sur Hotfile violent la propriété intellectuelle (sic)». Argument intéressant. Le droit en vigueur en la matière, aux États-Unis, est formé par les jurisprudences Betamax et Grokster. Selon ces jurisprudences, une technologie est en principe licite lorsqu’elle peut être utilisée de manière «substantielle» pour des usages licites, et elle devient illicite lorsqu’elle est utilisée pour inciter les usages illicites. En d’autres termes, le problème est (encore) la charge de la preuve : d’abord, le pourcentage annoncé ne semble pas fondé (à qui veut-on faire croire que sur les millions de fichiers hébergés par Hotfile, le pourcentage de fichiers illicites soit 90% tout rond ? pourquoi pas 89,72 % ?), mais surtout l’argument des 90% d’usages illicites est inopérant, dès lors qu’il existe 10% d’usages licites. Voilà pour le raisonnement fondé sur le droit commun. Mais Hotfile prétend être  un hébergeur. Il sera donc soumis, si cette qualification est acceptée, au régime spécial des hébergeurs (en l’espèce, le DMCA). Or, dans ce régime, l’hébergeur n’est pas censé surveiller les contenus hébergés, mais agir «de manière expéditive» pour retirer les contenus qui lui sont signalés par les ayants droit comme étant illicites. Si ces derniers peuvent soutenir que 90% des fichiers hébergés sont illicites, c’est qu’ils ont une liste de tous les fichiers hébergés, grâce à laquelle ils ont pu calculer cette donnée statistique. Pourquoi, dans ce cas, ne pas simplement signaler à Hotfile les fichiers illicites, afin qu’il les retire ? La réponse est qu’ils n’ont pas la liste, et qu’ils ne l’auront pas (certains fichiers peuvent être confidentiels et, de manière générale, la communication d’une telle liste serait de nature à porter préjudice à la vie privée des clients de Hotfile).

Responsabilité des hébergeurs

Poursuivons sur le thème de la responsabilité des hébergeurs. Nous parlions, la semaine dernière, du comportement de Paypal face à certains concurrents de MegaUpload. Cette semaine, l’on apprend que Paypal aurait décidé de censurer la littérature érotique. Explications. Paypal est une plateforme de paiement qui se place en position intermédiaire entre le vendeur (le site marchand qui vend les livres à l’internaute) et l’acheteur (l’internaute). L’internaute passe commande auprès du vendeur, puis il est redirigé vers Paypal pour effectuer le paiement. La banque de l’internaute verse l’argent à Paypal, qui le reverse ensuite au vendeur. Paypal est très utile pour éviter aux internautes d’avoir à donner leurs coordonnées bancaires à de multiples sites marchands. Mais Paypal est indispensable pour certains vendeurs qui n’offrent pas d’autres moyens de paiement (comme Google Checkout, le concurrent de Paypal, ou simplement le paiement direct par carte bancaire). Cela étant dit, les conséquences de la décision de Paypal apparaissent plus clairement : Paypal a décidé de ne plus servir d’intermédiaires aux sites marchands qui vendent de la littérature érotique, leur imposant soit de changer d’intermédiaire pour le paiement, soit de cesser de vendre de la littérature érotique. En quoi cela concerne-t-il la responsabilité des hébergeurs ? C’est très simple : selon la jurisprudence, américaine comme européenne, un opérateur qui effectue un contrôle de nature éditoriale sur les contenus qu’il participe à diffuser ne peut pas bénéficier du régime spécial de responsabilité des intermédiaires. Or, en choisissant de bannir la littérature érotique, plutôt qu’un autre genre littéraire, Paypal opère un choix sur le fond du contenu, un choix de nature éditoriale. Il devrait donc perdre, de ce fait, le bénéfice du régime de responsabilité des intermédiaires, et devrait être tenu pour responsable des contenus diffusés par ses clients (les sites marchands)… Quelle absurde logique ! Paypal ferait bien de revenir sur sa décision, et de se cantonner à son rôle d’intermédiaire de paiement…

Signalons encore deux décisions intéressantes en matière de responsabilité des hébergeurs. La première est une arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 janvier 2012 qui refuse à eBay le bénéfice du régime spécial de responsabilité des hébergeurs, au motif que l’opérateur «n’occupe pas une position neutre entre le client vendeur et les acheteurs potentiels, mais joue un rôle actif, en leur proposant de profiter d’un “gestionnaire de ventes”, “d’assistants vendeurs” ou de créer une “boutique” en ligne (…) ce qui leur permet de bénéficier d’une série d’avantages spéciaux» et qu’il est évident pour la Cour que «l’hébergement des annonces n’est que le support de l’activité principale d’ “eBay”, à savoir l’intermédiation entre vendeurs et acheteurs pour laquelle elle a mis en place des outils destinés à promouvoir les ventes et à les orienter pour optimiser les chances qu’elles aboutissent à des transactions effectives sur le montant desquelles elle percevra une commission». Il n’y a –vraiment– rien de nouveau dans ce raisonnement. Ce qui est pourtant intéressant, c’est qu’il intervient maintenant, après les arrêt de la CJUE sur la responsabilité des intermédiaires. Comme nous le disions dans nos observations sur ces décisions, elle ne réglaient pas le problème de la qualification et n’assuraient aucune immunité aux prétendus intermédiaires. La Cour d’appel de Paris semble être du même avis… La seconde décision est une ordonnance de référé du 15 février 2012 par laquelle le juge des référés dit qu’il n’y a pas lieu à référé en raison d’une contestation sur le fond, qui porte précisément sur la qualification d’intermédiaire de l’opérateur en cause. La question de la responsabilité des intermédiaires n’est clairement pas réglée !

Au sommaire, cette semaine, le traité ACTA, les suites de l’affaire MegaUpload, et les dernières actualités juridiques en matière de responsabilité des intermédiaires.

ACTA

L’Union européenne a publié, cette semaine, un schéma intéressant qui retrace les grands moments de l’élaboration du traité ACTA et qui représente la procédure de décision du Parlement européen. On y voit notamment le début des discussions en 2006 ; l’accord de Tokyo le 26 janvier 2012 auquel certains États européens, notamment l’Allemagne, ne sont pas parties ; et l’envoi au Parlement le 2 février dernier. Devant le Parlement, le traité ACTA est présenté par 5 rapporteurs pour les aspects juridiques, industriels et énergétiques, judiciaires, sociaux et commerciaux. Le Parlement doit ensuite voter en session plénière, et le traité doit être ratifié par tous les États membres. La procédure suit son cours, mais il devient de moins en moins probable qu’elle aboutisse à l’entrée en vigueur du traité.

MegaUpload (suites)

Forts de la fermeture de MegaUpload, les ayants droit américains s’en prennent maintenant à Hotfile. On peut ainsi lire, dans la plaine de la MPAA que «plus de 90 % des fichiers téléchargés sur Hotfile violent la propriété intellectuelle (sic)». Argument intéressant. Le droit en vigueur en la matière, aux États-Unis, est formé par les jurisprudences Betamax et Grokster. Selon ces jurisprudences, une technologie est en principe licite lorsqu’elle peut être utilisée de manière «substantielle» pour des usages licites, et elle devient illicite lorsqu’elle est utilisée pour inciter les usages illicites. En d’autres termes, le problème est (encore) la charge de la preuve : d’abord, le pourcentage annoncé ne semble pas fondé (à qui veut-on faire croire que sur les millions de fichiers hébergés par Hotfile, le pourcentage de fichiers illicites soit 90% tout rond ? pourquoi pas 89,72 % ?), mais surtout l’argument des 90% d’usages illicites est inopérant, dès lors qu’il existe 10% d’usages licites. Voilà pour le raisonnement fondé sur le droit commun. Mais Hotfile prétend être  un hébergeur. Il sera donc soumis, si cette qualification est acceptée, au régime spécial des hébergeurs (en l’espèce, le DMCA). Or, dans ce régime, l’hébergeur n’est pas censé surveiller les contenus hébergés, mais agir «de manière expéditive» pour retirer les contenus qui lui sont signalés par les ayants droit comme étant illicites. Si ces derniers peuvent soutenir que 90% des fichiers hébergés sont illicites, c’est qu’ils ont une liste de tous les fichiers hébergés, grâce à laquelle ils ont pu calculer cette donnée statistique. Pourquoi, dans ce cas, ne pas simplement signaler à Hotfile les fichiers illicites, afin qu’il les retire ? La réponse est qu’ils n’ont pas la liste, et qu’ils ne l’auront pas (certains fichiers peuvent être confidentiels et, de manière générale, la communication d’une telle liste serait de nature à porter préjudice à la vie privée des clients de Hotfile).

Responsabilité des hébergeurs

Poursuivons sur le thème de la responsabilité des hébergeurs. Nous parlions, la semaine dernière, du comportement de Paypal face à certains concurrents de MegaUpload. Cette semaine, l’on apprend que Paypal aurait décidé de censurer la littérature érotique. Explications. Paypal est une plateforme de paiement qui se place en position intermédiaire entre le vendeur (le site marchand qui vend les livres à l’internaute) et l’acheteur (l’internaute). L’internaute passe commande auprès du vendeur, puis il est redirigé vers Paypal pour effectuer le paiement. La banque de l’internaute verse l’argent à Paypal, qui le reverse ensuite au vendeur. Paypal est très utile pour éviter aux internautes d’avoir à donner leurs coordonnées bancaires à de multiples sites marchands. Mais Paypal est indispensable pour certains vendeurs qui n’offrent pas d’autres moyens de paiement (comme Google Checkout, le concurrent de Paypal, ou simplement le paiement direct par carte bancaire). Cela étant dit, les conséquences de la décision de Paypal apparaissent plus clairement : Paypal a décidé de ne plus servir d’intermédiaires aux sites marchands qui vendent de la littérature érotique, leur imposant soit de changer d’intermédiaire pour le paiement, soit de cesser de vendre de la littérature érotique. En quoi cela concerne-t-il la responsabilité des hébergeurs ? C’est très simple : selon la jurisprudence, américaine comme européenne, un opérateur qui effectue un contrôle de nature éditoriale sur les contenus qu’il participe à diffuser ne peut pas bénéficier du régime spécial de responsabilité des intermédiaires. Or, en choisissant de bannir la littérature érotique, plutôt qu’un autre genre littéraire, Paypal opère un choix sur le fond du contenu, un choix de nature éditoriale. Il devrait donc perdre, de ce fait, le bénéfice du régime de responsabilité des intermédiaires, et devrait être tenu pour responsable des contenus diffusés par ses clients (les sites marchands)… Quelle absurde logique ! Paypal ferait bien de revenir sur sa décision, et de se cantonner à son rôle d’intermédiaire de paiement…

Signalons encore deux décisions intéressantes en matière de responsabilité des hébergeurs. La première est une arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 janvier 2012 qui refuse à eBay le bénéfice du régime spécial de responsabilité des hébergeurs, au motif que l’opérateur «n’occupe pas une position neutre entre le client vendeur et les acheteurs potentiels, mais joue un rôle actif, en leur proposant de profiter d’un “gestionnaire de ventes”, “d’assistants vendeurs” ou de créer une “boutique” en ligne (…) ce qui leur permet de bénéficier d’une série d’avantages spéciaux» et qu’il est évident pour la Cour que «l’hébergement des annonces n’est que le support de l’activité principale d’ “eBay”, à savoir l’intermédiation entre vendeurs et acheteurs pour laquelle elle a mis en place des outils destinés à promouvoir les ventes et à les orienter pour optimiser les chances qu’elles aboutissent à des transactions effectives sur le montant desquelles elle percevra une commission». Il n’y a –vraiment– rien de nouveau dans ce raisonnement. Ce qui est pourtant intéressant, c’est qu’il intervient maintenant, après les arrêt de la CJUE sur la responsabilité des intermédiaires. Comme nous le disions dans nos observations sur ces décisions, elle ne réglaient pas le problème de la qualification et n’assuraient aucune immunité aux prétendus intermédiaires. La Cour d’appel de Paris semble être du même avis… La seconde décision est une ordonnance de référé du 15 février 2012 par laquelle le juge des référés dit qu’il n’y a pas lieu à référé en raison d’une contestation sur le fond, qui porte précisément sur la qualification d’intermédiaire de l’opérateur en cause. La question de la responsabilité des intermédiaires n’est clairement pas réglée !