Numéro 40 - Semaine du 10 au 16 janvier 2011

dimanche 16 janvier 2011

Pour commencer avec la revue du Web de la semaine, présentons quelques chiffres, un phénomène, une conséquence, un enseignement.

Les chiffres. Le site Clubic présente quelques chiffres relatifs à l’évolution d’Internet en 2010, provenant d’une étude de Pingdom(en). En décembre 2010, on a ainsi compté 255 millions de sites Web, dont 21,4 millions ont été créés dans l’année, pour un total de 202 millions de noms de domaine, soit une augmentation de 7% par rapport à 2009 (88,8 millions en .com, 13,2 millions en .net, 8,6 millions en .org, 79,2 millions pour les TLD de pays comme .fr pour la France). En juin 2010, le nombre d’internautes dans le monde a été évalué à 1,97 milliard, ce qui constitue une augmentation de 14% par rapport à l’année précédente. Ces internautes sont répartis ainsi : 42% en Asie, 24,2% en Europe, 13,5% en Amérique du nord, 10,4% en Amérique du sud, 5,6% en Afrique, 3,2% du Proche Orient, 1,1% en Australie et Océanie. Le nombre de blogs est évalué à 152 millions (dont 6 millions de nouveaux blogs WordPress), le nombre de «tweets» à 25 milliards (v. le site Twitter), le nombre d’utilisateurs de Facebook à 600 millions (qui produisent chaque mois 30 milliards de fichiers !). Chaque jour, 2 milliards de vidéos sont visionnées sur YouTube, et ce sont 35 heures de vidéo qui sont mises en ligne sur le site chaque minute. Le site Flickr contient près de 5 milliards de photographies, et 3000 nouvelles photos sont mises en ligne chaque minute. Le nombre d’e-mails envoyés en 2010 est gigatesque : plus de 100 000 milliards… et près de 90% de spam !

Un phénomène. Il n’est pas pas nouveau : les technologies Web 2.0 permettent aux gens d’établir une communication permanente entre eux sur le Web, les réseaux sociaux permettent aux informations importantes de se diffuser rapidement et de faire le tour de la planète en quelques heures, les sites tels que YouTube ou Facebook permettent aux internautes de mettre en ligne du contenu multimédia qu’ils produisent eux-mêmes. Trois «ingrédients» sont essentiels dans la définition de ces nouveaux medias :

  • l'origine de l'information : elle est créée et diffusée par l'internaute, le citoyen, et non par un journaliste professionnel. En conséquence, elle est souvent perçue comme étant plus fiable car l'on fera plus facilement confiance à une information communiquée par un ami ou un membre de sa famille, que par un étranger. Mais plus que cela, on peut créer une nouvelle information à partir d'une information reçue, par exemple en répondant à un billet de blog ou en relayant un message Twitter ("re-tweet") ;
  • la multiplication des points d'accès à l'information : on ne la trouve plus seulement à telle page du numéro N du journal X, puisqu'elle est relayée par de nombreux internautes, comme on peut notamment le voir sur Twitter ou dans la blogosphère. Le phénomène de bouche-à-oreille virtuel est donc amplifié par la structure des réseaux sociaux qui interconnectent leurs membres. Comme chaque internaute peut enrichir l'information avec sa propre réaction, une certaine émulation peut se créer autour d'une information générant, par exemple, un sentiment d'indignation, et former un "buzz" ;
  • le délai pour y accéder : plus besoin d'aller acheter le journal ou d'allumer la télévision à 20h, l'information en provenance du Web 2.0 arrive directement sous les yeux de l'internaute, quelques secondes à peine après avoir été créée. Le Web 2.0 a donc toujours une longueur d'avance sur les médias traditionnels, concernant la diffusion d'informations brutes. Cela implique que les réactions des internautes se font souvent "à chaud". Leur intensité est donc accrue, et l'effet de "buzz" s'en trouve renforcé.

Une conséquence. Parmi d’autres éléments, le Web 2.0 a favorisé la chute du président tunisien Ben Ali. Sur Internet «les informations circulent, le Web met en contact des citoyens qui, jusque-là, restaient sur leur quant-à-soi» ; aussi, après quelques semaines de gronde, il est évident que «le ver [étant] dans le fruit, la contradiction éclate. D’un côté, les médias traditionnels, étroitement contrôlés [par le gouvernement]. De l’autre, les Tunisiens, privés d’espace public, qui pianottent sur les claviers de leur mobiles et de leurs ordinateurs.» Et soudainement, le pouvoir en place s’aperçoit que «la censure ne peut plus être ce qu’elle était en Tunisie. Internet a levé le huis clos où elle opérait dans l’impunité, les brèches qu’elle colmate se reforment ailleurs.» (Bertrand Le Gendre, Les cyberopposants assiègent Carthage, Le Monde 16/17 janvier 2011). Samir Aïta, le président du Cercle des économistes arabes, a décrit ce phénomène dans un interview à Liberation : «L’Internet est présent dans toutes ces villes. C’est là, dans des cybercafés, chez les uns et les autres, que les jeunes parviennent à s’ouvrir sur le monde. A communiquer avec des diasporas lointaines. A voir le monde autrement.» ; «Il est indéniable qu’à mesure que se développe l’utilisation de ces technologies se développe aussi une critique à l’égard des pouvoirs en place» et (…) «En face, le discours officiel ne parvient plus à masquer cette réalité tant décriée.»

Le pouvoir en place tente par tous moyens de censurer le réseau(en) : des sites Web sont bloqués, des comptes Facebook et des blogs piratés. Ces tentatives sont souvent vaines, l’information diffusée par un site censuré était rapidement reprise par de nombreux autres sites qui parviennent encore, pour un temps, à passer entre les mailles du filet gouvernemental. En revanche, le pouvoir parvient toujours à exercer une répression brutale lorsque l’auteur d’un blog ou le propriétaire d’un compte Facebook contenant des propos contestataires est identifié. L’information parvient à passer, certes, mais ceux qui la diffusent le paient parfois au prix de leur sang.

Un enseignement. On sait depuis l’Areopagitica de John Milton, depuis Stuart Mill, Kant, Voltaire, Popper et tant d’autres, depuis les révolutions américaine et française, depuis la rédactions des Pactes de protection des droits de l’Homme de l’ONU et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, que la liberté d’expression est nécessaire à la démocratie, qu’elle est l’une des libertés les plus précieuses. On sait maintenant qu’Internet est, à notre époque, le principal outil permettant aux citoyens d’exercer leur droit à s’exprimer librement, de manière responsable mais sans censure ou répression. Internet n’a pas été la cause du bouleversement politique tunisien, mais il en a été le principal vecteur. Sans le «Web social», sans cette capacité des citoyens de communiquer entre eux rapidement, directement et librement, le président Ben Ali n’aurait probablement pas été déposé. Le premier enseignement est donc celui de l’importance d’Internet dans le débat démocratique.

Le second enseignement découle du premier : puisqu’Internet est si important pour l’ouverture du débat démocratique, puisqu’il est appelé à devenir indispensable s’il ne l’est pas déjà, il est nécessaire de le préserver. Cela signifie qu’il faut empêcher qu’il soit dénaturé, lutter pour qu’il conserve ses caractéristiques : un média citoyen, ouvert à tous, non censuré, et neutre quant à l’information qu’il véhicule.

Or, ce n’est pas ce chemin là qu’ont choisi nos dirigeants. On citera simplement, à titre d’exemple, la loi française «LOPPSI II» sur laquelle nous avons déjà tellement écrit qu’il est inutile d’y revenir. À l’échelle européenne, la Commission vient d’accepter le principe d’un filtrage des réseaux de P2P (qui, justement, se définissent par le caractère direct des échanges qu’entretiennent les internautes les uns avec les autres), sous contrôle judiciaire. De même, le filtrage du réseau est envisagé pour bloquer les sites pédopornographiques. Il n’y a rien à redire sur le principe d’un tel blocage. En revanche, on peut douter de son efficacité et craindre qu’il ait des «effets collatéraux» sur des sites licites, ou qu’il soit indûment étendu à des sites qui n’ont rien de pornographique. On peut également douter de la pertinence de la mesure de blocage, puisqu’elle empêche l’accès à l’information, sans pour autant la faire disparaître (celle-ci serait alors disponible en dehors de l’UE ou en passant par un serveur mandataire) et sans s’attaquer à la source du problème, les véritables pédophiles agissant dans le «monde réel». La loi Hadopi poursuit d’ailleurs le même objectif : intimider les internautes et réprimer le partage d’œuvres à titre gratuit et dans un but culturel, plutôt que de s’attaquer aux personnes qui tirent des revenus du «piratage» et parviennent à organiser un véritable modèle économique très lucratif grâce au travail d’autrui.

En conclusion, les événements de cette semaine en Tunisie soulignent une fois de plus l’importance du combat mené pour qu’Internet reste un moyen de communication libre.

Pour commencer avec la revue du Web de la semaine, présentons quelques chiffres, un phénomène, une conséquence, un enseignement.

Les chiffres. Le site Clubic présente quelques chiffres relatifs à l’évolution d’Internet en 2010, provenant d’une étude de Pingdom(en). En décembre 2010, on a ainsi compté 255 millions de sites Web, dont 21,4 millions ont été créés dans l’année, pour un total de 202 millions de noms de domaine, soit une augmentation de 7% par rapport à 2009 (88,8 millions en .com, 13,2 millions en .net, 8,6 millions en .org, 79,2 millions pour les TLD de pays comme .fr pour la France). En juin 2010, le nombre d’internautes dans le monde a été évalué à 1,97 milliard, ce qui constitue une augmentation de 14% par rapport à l’année précédente. Ces internautes sont répartis ainsi : 42% en Asie, 24,2% en Europe, 13,5% en Amérique du nord, 10,4% en Amérique du sud, 5,6% en Afrique, 3,2% du Proche Orient, 1,1% en Australie et Océanie. Le nombre de blogs est évalué à 152 millions (dont 6 millions de nouveaux blogs WordPress), le nombre de «tweets» à 25 milliards (v. le site Twitter), le nombre d’utilisateurs de Facebook à 600 millions (qui produisent chaque mois 30 milliards de fichiers !). Chaque jour, 2 milliards de vidéos sont visionnées sur YouTube, et ce sont 35 heures de vidéo qui sont mises en ligne sur le site chaque minute. Le site Flickr contient près de 5 milliards de photographies, et 3000 nouvelles photos sont mises en ligne chaque minute. Le nombre d’e-mails envoyés en 2010 est gigatesque : plus de 100 000 milliards… et près de 90% de spam !

Un phénomène. Il n’est pas pas nouveau : les technologies Web 2.0 permettent aux gens d’établir une communication permanente entre eux sur le Web, les réseaux sociaux permettent aux informations importantes de se diffuser rapidement et de faire le tour de la planète en quelques heures, les sites tels que YouTube ou Facebook permettent aux internautes de mettre en ligne du contenu multimédia qu’ils produisent eux-mêmes. Trois «ingrédients» sont essentiels dans la définition de ces nouveaux medias :

  • l'origine de l'information : elle est créée et diffusée par l'internaute, le citoyen, et non par un journaliste professionnel. En conséquence, elle est souvent perçue comme étant plus fiable car l'on fera plus facilement confiance à une information communiquée par un ami ou un membre de sa famille, que par un étranger. Mais plus que cela, on peut créer une nouvelle information à partir d'une information reçue, par exemple en répondant à un billet de blog ou en relayant un message Twitter ("re-tweet") ;
  • la multiplication des points d'accès à l'information : on ne la trouve plus seulement à telle page du numéro N du journal X, puisqu'elle est relayée par de nombreux internautes, comme on peut notamment le voir sur Twitter ou dans la blogosphère. Le phénomène de bouche-à-oreille virtuel est donc amplifié par la structure des réseaux sociaux qui interconnectent leurs membres. Comme chaque internaute peut enrichir l'information avec sa propre réaction, une certaine émulation peut se créer autour d'une information générant, par exemple, un sentiment d'indignation, et former un "buzz" ;
  • le délai pour y accéder : plus besoin d'aller acheter le journal ou d'allumer la télévision à 20h, l'information en provenance du Web 2.0 arrive directement sous les yeux de l'internaute, quelques secondes à peine après avoir été créée. Le Web 2.0 a donc toujours une longueur d'avance sur les médias traditionnels, concernant la diffusion d'informations brutes. Cela implique que les réactions des internautes se font souvent "à chaud". Leur intensité est donc accrue, et l'effet de "buzz" s'en trouve renforcé.

Une conséquence. Parmi d’autres éléments, le Web 2.0 a favorisé la chute du président tunisien Ben Ali. Sur Internet «les informations circulent, le Web met en contact des citoyens qui, jusque-là, restaient sur leur quant-à-soi» ; aussi, après quelques semaines de gronde, il est évident que «le ver [étant] dans le fruit, la contradiction éclate. D’un côté, les médias traditionnels, étroitement contrôlés [par le gouvernement]. De l’autre, les Tunisiens, privés d’espace public, qui pianottent sur les claviers de leur mobiles et de leurs ordinateurs.» Et soudainement, le pouvoir en place s’aperçoit que «la censure ne peut plus être ce qu’elle était en Tunisie. Internet a levé le huis clos où elle opérait dans l’impunité, les brèches qu’elle colmate se reforment ailleurs.» (Bertrand Le Gendre, Les cyberopposants assiègent Carthage, Le Monde 16/17 janvier 2011). Samir Aïta, le président du Cercle des économistes arabes, a décrit ce phénomène dans un interview à Liberation : «L’Internet est présent dans toutes ces villes. C’est là, dans des cybercafés, chez les uns et les autres, que les jeunes parviennent à s’ouvrir sur le monde. A communiquer avec des diasporas lointaines. A voir le monde autrement.» ; «Il est indéniable qu’à mesure que se développe l’utilisation de ces technologies se développe aussi une critique à l’égard des pouvoirs en place» et (…) «En face, le discours officiel ne parvient plus à masquer cette réalité tant décriée.»

Le pouvoir en place tente par tous moyens de censurer le réseau(en) : des sites Web sont bloqués, des comptes Facebook et des blogs piratés. Ces tentatives sont souvent vaines, l’information diffusée par un site censuré était rapidement reprise par de nombreux autres sites qui parviennent encore, pour un temps, à passer entre les mailles du filet gouvernemental. En revanche, le pouvoir parvient toujours à exercer une répression brutale lorsque l’auteur d’un blog ou le propriétaire d’un compte Facebook contenant des propos contestataires est identifié. L’information parvient à passer, certes, mais ceux qui la diffusent le paient parfois au prix de leur sang.

Un enseignement. On sait depuis l’Areopagitica de John Milton, depuis Stuart Mill, Kant, Voltaire, Popper et tant d’autres, depuis les révolutions américaine et française, depuis la rédactions des Pactes de protection des droits de l’Homme de l’ONU et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, que la liberté d’expression est nécessaire à la démocratie, qu’elle est l’une des libertés les plus précieuses. On sait maintenant qu’Internet est, à notre époque, le principal outil permettant aux citoyens d’exercer leur droit à s’exprimer librement, de manière responsable mais sans censure ou répression. Internet n’a pas été la cause du bouleversement politique tunisien, mais il en a été le principal vecteur. Sans le «Web social», sans cette capacité des citoyens de communiquer entre eux rapidement, directement et librement, le président Ben Ali n’aurait probablement pas été déposé. Le premier enseignement est donc celui de l’importance d’Internet dans le débat démocratique.

Le second enseignement découle du premier : puisqu’Internet est si important pour l’ouverture du débat démocratique, puisqu’il est appelé à devenir indispensable s’il ne l’est pas déjà, il est nécessaire de le préserver. Cela signifie qu’il faut empêcher qu’il soit dénaturé, lutter pour qu’il conserve ses caractéristiques : un média citoyen, ouvert à tous, non censuré, et neutre quant à l’information qu’il véhicule.

Or, ce n’est pas ce chemin là qu’ont choisi nos dirigeants. On citera simplement, à titre d’exemple, la loi française «LOPPSI II» sur laquelle nous avons déjà tellement écrit qu’il est inutile d’y revenir. À l’échelle européenne, la Commission vient d’accepter le principe d’un filtrage des réseaux de P2P (qui, justement, se définissent par le caractère direct des échanges qu’entretiennent les internautes les uns avec les autres), sous contrôle judiciaire. De même, le filtrage du réseau est envisagé pour bloquer les sites pédopornographiques. Il n’y a rien à redire sur le principe d’un tel blocage. En revanche, on peut douter de son efficacité et craindre qu’il ait des «effets collatéraux» sur des sites licites, ou qu’il soit indûment étendu à des sites qui n’ont rien de pornographique. On peut également douter de la pertinence de la mesure de blocage, puisqu’elle empêche l’accès à l’information, sans pour autant la faire disparaître (celle-ci serait alors disponible en dehors de l’UE ou en passant par un serveur mandataire) et sans s’attaquer à la source du problème, les véritables pédophiles agissant dans le «monde réel». La loi Hadopi poursuit d’ailleurs le même objectif : intimider les internautes et réprimer le partage d’œuvres à titre gratuit et dans un but culturel, plutôt que de s’attaquer aux personnes qui tirent des revenus du «piratage» et parviennent à organiser un véritable modèle économique très lucratif grâce au travail d’autrui.

En conclusion, les événements de cette semaine en Tunisie soulignent une fois de plus l’importance du combat mené pour qu’Internet reste un moyen de communication libre.