Blâmez le contenant, oubliez le contenu

samedi 19 septembre 2009

Je lis dans Le Monde (1), à propos de la récente affaire Hortefeux, que plusieurs personnalités de la droite française, ainsi que divers intellectuels, accusent le réseau Internet d'être « source de nouvelles dérives en matière d'information ». Les dérives dont il est ici question se concrétisent par la diffusion d'une vidéo montrant le ministre de l'intérieur faisant une plaisanterie jugée raciste par une partie de l'opinion publique. Le « buzz » est né de la visualisation de cette vidéo plusieurs centaines de milliers de fois, en très peu de temps, grâce à la publicité générée par la blogosphère française. Cette immense publicité a suscité de nombreuses réactions parmi les politiques et les intellectuels. Un homme politique de la majorité a ainsi affirmé « [qu']Internet est un danger pour la démocratie » (J.F. Copé), un intellectuel a qualifié le Web de « poubelle de toutes les informations » (A. Finkielkraut). J'aimerais à mon tour, sans grande prétention, réagir à ces réactions.

Je lis dans Le Monde (1), à propos de la récente affaire Hortefeux, que plusieurs personnalités de la droite française, ainsi que divers intellectuels, accusent le réseau Internet d’être « source de nouvelles dérives en matière d’information ». Les dérives dont il est ici question se concrétisent par la diffusion d’une vidéo montrant le ministre de l’intérieur faisant une plaisanterie jugée raciste par une partie de l’opinion publique. Le « buzz » est né de la visualisation de cette vidéo plusieurs centaines de milliers de fois, en très peu de temps, grâce à la publicité générée par la blogosphère française.

Cette immense publicité a suscité de nombreuses réactions parmi les politiques et les intellectuels. Un homme politique de la majorité a ainsi affirmé « [qu’]Internet est un danger pour la démocratie » (J.F. Copé), un intellectuel a qualifié le Web de « poubelle de toutes les informations » (A. Finkielkraut).

J’aimerais à mon tour, sans grande prétention, réagir à ces réactions.

Il est vrai que le Web véhicule toute sorte d’informations, qu’on y rencontre le pire comme le meilleur. Le contentieux judiciaire d’Internet fournit de nombreux exemples de sites contenant des messages racistes, incitatifs à la haine raciale, diffamatoires, injurieux, calomnieux. On trouve aussi sur Internet des fichiers diffusés en violation du droit d’auteur, des informations portant atteinte à l’intimité de la vie privée de personnages connus, des images à caractère pédophile… bref, une grande variété de contenus contraires au droit. Les sites « poubelle » sont ainsi définis, de manière récurrente, par l’illicéité de leur contenu. Il serait tentant d’argüer contre M. Finkielkraut que le ministre a bien contribué à garnir la poubelle en proférant de propos considérés comme étant racistes, mais cela serait un peu facile. En réalité, les propos ont été tenus par le ministre dans le « monde réel », puis diffusés dans le « monde virtuel » à titre informatif. Ils furent également relayés par les médias traditionnels tels que la télévision (journal de 20h) ou la presse papier. Pas plus les médias traditionnels que les sites Web n’ont entendu cautionner les propos du ministre ; l’intention attachée à la diffusion de la vidéo était de nature purement informative et critique. En d’autres termes, le Web français n’a fait que « piocher » dans la poubelle, sans participer à la remplir.

Internet est un moyen de communication, c’est-à-dire un contenant pour l’information. Il est donc, en principe, neutre par rapport au contenu qu’il permet de diffuser. Or, la technologie ne doit pas être considérée comme étant illicite en soi ; c’est l’usage qui en est fait qui est susceptible d’être contraire au droit. Ce principe, consacré en 1984 par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire « Betamax » (2), et qui a guidé jusqu’à présent l’évolution du droit des nouvelles technologies, a été perdu de vue par ceux qui crient aujourd’hui haro sur Internet. Il ne faut pas blâmer le contenant en oubliant que c’est le contenu qui est susceptible de causer préjudice.

Malgré cela, le Web peut toujours être traité de « poubelle » dans le sens où il réalise la publicité et donne une nouvelle vie à des informations jugées anecdotiques, indignes d’attention et qui, sans son relai, seraient vite tombées dans l’oubli. C’est ainsi qu’une partie de la classe politique conçoit le Web de l’affaire Hortefeux : il n’y avait pas lieu d’avoir d’« affaire » et il n’y en aurait pas eu sans Internet. Le Web serait nuisible à la démocratie en ce qu’il place sur un pied d’égalité toutes les informations, quelle que soit leur pertinence.

Cette vision des choses est profondément erronée. Ce n’est pas la libre diffusion de l’information qui nuit à la démocratie, mais la censure qui, entendue au sens large comme la rétention, le tri ou l’orientation de l’information, constitue le premier pas vers le totalitarisme. La discrimination de l’information selon un critère de pertinence prédéfini par l’élite dirigeante contribue à enfermer l’opinion publique dans une sorte de caverne platonicienne où la vérité subjective n’est rien d’autre qu’un mensonge. L’information ne doit pas être discriminée a priori ; sa pertinence doit au contraire émerger de sa diffusion et de sa prise en considération par l’opinion publique. La théorie du « marché des idées », d’origine anglo-saxonne (3) (marketplace of ideas), explique que la vérité ne peut triompher que si elle est confrontée au mensonge et, réciproquement, le mensonge ne peut être combattu efficacement que s’il est comparé à la vérité, car il ressortira considérablement affaibli de cette comparaison. Autrement dit, si la pertinence d’une information doit être évaluée, elle doit l’être de manière objective, à l’aide d’un critère qui lui est intrinsèque, comme le succès qu’elle connaît après sa libre diffusion, et non de manière subjective suivant un critère extrinsèque et prédéfini par les censeurs. Mieux encore, pour une totale liberté d’expression, ne pas évaluer la pertinence d’une information : considérer que celle-ci varie en fonction du public, et laisser ce public décider de ce qui est pertinent pour lui.

Je partage donc la conclusion de l’auteur de l’article dans Le Monde, en ce qu’il voit les accusations proférées à l’encontre du Web français comme le reflet d’une « peur primale d’un média qui (…) révèle parfois au grand jour ce qu’on voudrait taire ».


Notes

(1) X. Ternisien, L’affaire Hortefeux met Internet au banc des accusés, Le Monde 16 Sept. 2009

(2) Sony Corp. of America v. Universal City Studios, 464 U.S. 417 (1984)

(3) V. John Milton, Areopagitica, Bartleby.com < http://www.bartleby.com/3/3/2.html >, Collier & Sons 2001 (1643) ; John Stuart Mill, On Liberty, Bartleby.com < http://www.bartleby.com/130/2.html >, Longman, Roberts & Green 4th éd. 1999 (1859) ; et Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis (1945) et Misère de l’historicisme (1944-45).</p>